La Fundacion En Via : une alliance atypique entre microfinance et tourisme
Qu’est ce que la microfinance ?
La microfinance, impulsée dans les 70 au Bangladesh par Muhammad Yunus et sa Grameen Bank, est une approche pour vaincre la pauvreté en permettant l’accès aux plus démunis aux services financiers dont ils sont traditionnellement exclus. En octroyant des crédits à faibles montants (« microcrédits »), mais également des services associés tels que l’épargne, l’assurance, etc., les instituts de microfinance (IMF) aident les plus pauvres à créer ou faire croître leur commerce, et peuvent ainsi les aider à sortir de leur situation précaire.
Malheureusement, l’absence de contrôle peut engendrer de fortes dérives dans le système. C’est le cas du Mexique, où le gouvernement est peu impliqué et aucune règlementation ne fixe de seuil limite au taux d’intérêt de ce type de prêt. Le résultat : d’un côté, un nombre croissant d’organismes financiers pratiquant des taux abusifs (avec un taux d’intérêt moyen avoisinant les 70% et pouvant atteindre jusqu’à 150% !) et engorgeant des profits considérables, et de l’autre, des familles engrenées dans la spirale de l’endettement et des crédits à la consommation (télévision, équipements ménagers, etc.).
Comment est née la fondacion En Via ?
Inspiré par l’article de Trip Sweeney sur la possibilité de construire une nouvelle forme de tourisme responsable, Ashwin Kaja s’est lancé dans le projet de concrétiser cette idée. C’est au Mexique, dans la ville de Oaxaca, qu’il a rencontré Carlos Topete, codirecteur d’une école de langue, tout aussi enthousiaste à l’idée de bâtir ce pont entre tourisme et microfinance.
C’est ainsi qu’est né le projet Investours*, rebaptisé ultérieurement En Via.
La fondation En Via, aujourd’hui une organisation à but non lucratif, vient en aide aux femmes de Teotitlan del Valle, un petit village Zapotec à une trentaine de kilomètres de Oaxaca, en leur accordant des prêts pour les aider à financer leur commerce.
Les particularités de la fondation
Si le fonctionnement global des prêts est basé sur les expériences des instituts de micro-finances et les « best practices » qui ont fait leurs preuves, la fondation En Via possède néanmoins quelques caractéristiques propres, qui la distinguent des IMF classiques.
Sa principale spécificité est le fait que les prêts soient sans intérêt, ce qui constitue leur principal moyen de lutte contre la spirale de l’endettement. De ce fait, les prêts sont de faible montant et de courte durée : le premier prêt accordé ne peut dépasser 1300 pesos (moins de 100 USD), remboursable en 10 semaines. Les plafonds peuvent ensuite augmenter pour les prêts suivants (2000 pesos, puis 3000 pesos), le montant maximum étant de 5000 pesos (mais très rarement accordé).
Deuxième grande particularité du projet : 99% des fonds servant à financer les microcrédits proviennent du tourisme, par le biais de « tours » où les touristes partent à la rencontre des femmes emprunteuses directement dans leur village, le 1% restant provenant de dons.
Fonctionnement du prêt
Chaque prêt est accordé non pas de façon individuel, mais à un groupe constitué de trois femmes. Le principe consiste à créer un groupement solidaire, afin de responsabiliser les femmes non seulement individuellement mais également entre elles. L’objectif est que les femmes au sein d’un même groupe puissent se soutenir, s’encourager mutuellement, et s’inciter à respecter leurs engagements.
En effet, chaque prêt est assujetti à quelques obligations pour chaque emprunteuse : assister à l’assemblée générale toutes les semaines, effectuer leur remboursement de manière hebdomadaire et participer au cours de « business ». Un système d’ « amende » a été mis en place après un début difficile où beaucoup de femmes manquaient à leurs obligations : ainsi, une amende de 20 pesos s’applique pour une absence à l’assemblée hebdomadaire (l’amende est valable pour les trois femmes du groupe même s’il n’y en a qu’une qui est absente), ainsi que pour le manque de paiement. L’amende, de faible montant, joue un rôle symbolique et a pour but d’enseigner aux femmes l’importance d’honorer ses engagements dans le monde du travail.
Le modèle ainsi établi semble faire ses preuves, et le taux de défaut de remboursement n’est que de 3 sur 350 prêts, les 3 cas étant uniquement dus à des situations familiales extrêmes.
Du au faible montant et à la courte durée de remboursement de l’emprunt, les emprunteuses ont plutôt une vision à court terme concernant l’utilisation de l’argent. Ainsi, les crédits accordés sont très majoritairement consacrés à l’achat de matières premières ou de marchandises. On recense moins de véritables « investissements » matériels, même si l’on trouve quelques bons exemples : chaises et nouveau toit pour un restaurant, réfrigérateur pour une vendeuse de fromage afin de réduire ses frais de livraison, tank de gaz, etc.
Par ailleurs, la fondation dispense deux types de cours au profit : les cours de business, obligatoires pour toutes les femmes emprunteuses et dont l’objectif principal est de leur apprendre à gérer correctement leur argent, et des cours d’anglais facultatifs, ouverts aux femmes mais également à leurs maris et enfants. Ces cours ont obtenus un très grand succès auprès des premières « diplômées » qui ont même demandé de nouveaux modules pour en apprendre encore plus.
Bénéfices du programme
Malgré les faibles sommes prêtées, il est indéniable que l’impact est plus que positif pour les femmes de Teotitlan. Dans ce village où la spécialité est le tissage de tapis, les prêts accordés aident un très grand nombre de femmes à se détacher des « casas grandes » (grands magasins à l’entrée du village spécialisés dans la vente de tapis aux touristes) qui exploitent les artisans en revendant à prix d’or les tapis achetés pour quasiment rien. En effet, la plupart du temps, les casas grandes procurent la laine aux artisans et ne paient donc que (très faiblement) la main d’œuvre. Les microcrédits permettent aux femmes d’acheter leur propre laine, et donc soit de revendre leur tapis aux casas grandes à un prix plus juste, soit de les vendre directement sur le marché.
En choisissant de ne prêter qu’aux femmes et de mettre l’accent sur les femmes et leur travail, la fondation participe à leur émancipation, dans un village où les femmes viennent tout juste d’obtenir le droit de participer aux comités municipaux mais où leurs votes ne sont toujours pas comptés. Petit à petit, En Via est en train de poser les fondations d’une nouvelle vision sur le rôle et la place des femmes dans la communauté. Grâce au projet, les femmes sont responsabilisées et prennent de plus en plus confiance en elles-mêmes et en leurs capacités, apprenant de leurs erreurs ou de leurs réussites à chaque emprunt. Ses femmes qui réussissent sont porteuses d’espoir et sont un très bel exemple pour les générations futures.
Evolution
La fondation, aujourd’hui bien installée dans le village de Teotitlan, a désormais pour ambition de s’agrandir. Elle a déjà commencé à travailler avec quelques femmes dans le village avoisinant de Diaz Ordaz, et pense par la suite s’étendre éventuellement à d’autres régions (notamment au Chiapas, région la plus pauvre du Mexique).
Une réflexion est également en cours sur la possibilité de trouver d’autres moyens de financement. En attendant, la fondation compte toujours sur les touristes ! Pour faire un don ou s’inscrire pour un tour, c’est par ici.
* le projet Investours a continué à se développer par ailleurs et possède désormais deux branches : à Puerto Vallarta au Mexique et à Dar Es Salaam en Tanzanie
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